Le marché public
Comme nous vous en avons déjà informé, le marché public de la reconstruction de l’usine d’incinération d’ivry-Paris XIII a été voté par la presque totalité des conseillers du Syctom le 17 octobre 2014 et attribué à une filiale de Suez-Environnement pour un montant de 2 milliards d’€ TTC (construction et exploitation pendant 23 ans).
Rappelons d’abord que c’est un projet qui avant même d’être construit pour 40 à 50 ans, est obsolète, à contre-courant de l’histoire, car il n’est en phase avec aucune des politiques déchets qui répondent aux crises d’aujourd’hui, la crise du réchauffement climatique et la raréfaction des ressources de la planète. Il va à l’encontre des directives européennes, des lois françaises, du plan régional publiés depuis 2008 en s’obstinant dans un projet d’usine d’incinération alors que la réglementation demande qu’on diminue les tonnages éliminés (incinérés et mis en décharge) et qu’on privilégie la réduction des déchets, la réutilisation et le recyclage (les 3R). Au nom de la « valorisation énergétique » chère aux lobbys français du traitement des déchets, il encourage l’élimination de ressources précieuses comme les bio-déchets qui doivent être valorisés en composts pour nos terres agricoles épuisées, et les plastiques et cartons qui doivent être recyclés.
Le marché signé en février 2015 comprend 1,150 milliard d’€ TTC pour la partie construction, qui se découpe en neuf tranches dont seule celle concernant les dernières études et démarches d’autorisation est « ferme ». Les huit autres tranches (construction de l’incinérateur et du Tri Mécano-Biologique avec Méthanisation ou TMB/M) sont désignées comme « optionnelles », ce qui permet au Syctom de dire qu’elles sont suspendues à ces études préalables. Évidemment, nous ne sommes pas dupes et nous savons pertinemment qu’il n’est aucunement question pour les conseillers du Syctom de remettre en cause ce projet pharaonique qu’ils défendent becs et ongles depuis 2004.
Les deux usines d’incinération et de TMB/M sont donc bien maintenues comme initialement prévues, à la légère nuance près que celle de TMB/M qui n’est plus que de 310 000 tonnes, ce qui en ferait tout de même la plus grosse usine de ce type en Europe et l’unique en milieu urbain dense en France.
L’autre aberration de ce marché public réside dans la durée d’exploitation du traitement des déchets attribué pour 23 ans, alors que le bénéficiaire ne mettra pas un centime dans la construction des deux usines et n’attend pas de retour sur investissements comme c’est le cas pour les sociétés d’autoroutes.
Le recours juridique
Le Collectif 3R a engagé un recours en justice contre ce marché public en mandatant Maître Nicolas Gardères pour nous représenter. S’appuyant sur le code des marchés publics, ce dernier a contesté premièrement la validité de la durée anormalement longue d’attribution du marché d’exploitation en contradiction avec l’intérêt public.
Le second point contesté juridiquement par l’avocat porte sur la faible qualité technique de l’offre du titulaire et la violation corrélative du principe d’efficacité de la commande publique. En clair cela veut dire qu’au regard du montant du marché et des risques inhérents à ce type d’exploitation, les notes attribuées par la commission d’appel d’offres au groupement qui a remporté le marché sont particulièrement faibles. La note globale n’est que de 64,64/100 avec un très mauvais 2/4 pour le traitement des fumées de l’incinérateur, et pour le TMB-méthanisation 1/4 pour le tri et la préparation des déchets ; 2/4 pour la prévention et maîtrise des nuisances olfactives ; et 2/4 pour la question cruciale de la prévention et la maitrise des risques incendie et explosion !
Comment croire après cela aux propos lénifiants nous assurant que les leçons de Fos sur Mer, Montpellier, Angers et Varennes-Jarcy ont été retenues ? Il est évident que cette fuite en avant nous prépare à de nouveaux scandales dont les responsables se défileront le moment venu.
Les alternatives existent
Nous savons que des alternatives à l’incinération existent, car ne l’oublions pas l’incinération des déchets n’est pas inoffensive (voir les chiffres des polluants émis par l’usine d’Ivry-Paris XIII que nous publions chaque année) et ne fait pas miraculeusement disparaître les déchets qu’elle engloutit. Les mâchefers et REFIOM, résidus dincinération et de filtration, représentent 20% du tonnage entrant.
Pour réduire ces pollutions, il n’y a qu’une solution : réduire les déchets, réutiliser, recycler et abandonner petit à petit le traitement par incinération !
C’est ce que d’autres pays européens ont su faire bien mieux et avant nous. Selon l’analyse comparative de l’Ademe de juin 2013, le taux de couverture de la collecte sélective des biodéchets en porte à porte en Allemagne est de 50 à 60% de la population ; il est de 70 à 80% en Autriche, alors qu’il n’est que de 3% en France. Lorsque l’on sait que ces biodéchets constituent entre 30 et 40% du poids de nos poubelles, on mesure la marge que nous avons devant nous pour diminuer les tonnages à incinérer ou enfouir.
Jusqu’ il y a peu, le Syctom argumentait qu’il était très difficile de mettre en place cette collecte sélective en région parisienne, et surtout à Paris intramuros, en raison de la densité de la population, la plus élevée d’Europe au m². Les exemples se multiplient de grandes villes américaines et européennes ayant mis en place avec succès cette collecte sélective des biodéchets. Il est très difficile pour le Syctom de continuer à se réfugier derrière cet argument spécieux. De fait, le Conseil de Paris a voté majoritairement l’adhésion à la démarche “Zéro Waste” (zéro déchet, zéro gaspillage) que le Collectif 3R a contribué à lancer en France en février 2014. Lors du comité syndical du Syctom du 19 juin dernier, l’adjoint de la ville de Paris chargé des déchets a annoncé que la ville lançait une étude avec volonté de suite, pour la collecte sélective des biodéchets dans deux arrondissements parisiens représentatifs d’un habitat diversifié. De même, la ville analyse comment réaliser la collecte des biodéchets des gros producteurs (marchés, cantines, gros restaurants) qui est une obligation législative de la loi Grenelle 2 de l’environnement depuis 2012 pour toutes les communes, et encore peu appliquée.
Ces mesures en faveur de la réduction de la poubelle en mélange et de la valorisation des déchets viennent conforter nos calculs basés sur la baisse du tonnage des déchets depuis 2003, alors que le Syctom avait tablé sur une évolution à la hausse de ces mêmes tonnages. Malgré cette évidence, le dimensionnement de l’usine d’incinération est resté inchangé depuis 2004 (350 000 tonnes), ce qui conduira inévitablement à une surcapacité de l’usine qu’il faudra alors alimenter avec des déchets venus de très loin.
Cette position rigide est incompréhensible pour nous autres citoyens à qui on martèle sans cesse qu’il faut diminuer les dépenses publiques. Il est à noter que le projet du Syctom correspond à une augmentation annuelle et cumulative de 2010 à 2027 de 2,82% par an de la redevance déchets pour pallier aux remboursements des emprunts nécessaires à la réalisation de ce projet démesuré. Évidemment ces augmentations se répercuteront sur les impôts des habitants.
Pour le Collectif 3R l’opposition à ce mauvais projet continue et continuera jusqu’au bout. Parallèlement aux actions en justice que nous engagerons à chaque étape du projet, nous travaillons avec l’association Zéro Waste France à un scénario alternatif qui prend en compte les objectifs réalistes de réduction des déchets, de hausse des collectes sélectives et du recyclage, en accord avec la législation européenne et nationale votée depuis 2008.
Article à retrouver dans la lettre d’info n°5.