Note pour Madame la ministre Brune Poirson


Premier syndicat intercommunal de gestion des déchets ménagers de France tant par le nombre d’habitants concernés que par son budget annuel, le Syctom (l’agence métropolitaine des déchets ménagers) a les moyens de mener une politique conforme à la législation.

Pourtant, il remet ouvertement en cause le bien fondé des politiques publiques de prévention, de tri et de recyclage des déchets, et se fixe des objectifs pour 2025 et 2031 non conformes à la législation en vigueur.

La présente note vise à démontrer en quoi le Syctom planifie le non-respect de la législation sur le territoire de la métropole du Grand Paris, entraînant la région Île-de-France dans cette dérive.

Le Syctom remet ouvertement en cause la législation en vigueur

Notre analyse se fonde sur deux publications du Syctom:

  • l’une à vocation régionale, d’octobre2017 “Pour une gestion ambitieuse et responsable des déchets métropolitains : contribution du Syctom à l’élaboration du PRPGD d’Île-de-France”;
  • l’autre à vocation nationale, de décembre 2017 “Économie circulaire 2018 :travaux d’élaboration de la feuille de route : contribution du Syctom,l’Agence métropolitaine des déchets ménagers”.

Dans ces textes, le Syctom met en avant le« principe de réalité ». Il explique que « recycler et traiter représente un effort et un coût pour les citoyens et les collectivités », et qu’il convient de« soulager le citoyen de la responsabilité [du tri]» car « la doxa du tri à la source trouve ses limites », et les« objectifs sont inatteignables ».

Il est vrai que des décennies de priorité donnée à l’incinération des déchets ont abouti à un retard important :

  • en 2013 c’est 42,6% du contenu de la poubelle d’OMR qui aurait déjà dû se trouver dans la poubelle de tri, car faisant l’objet d’une consigne de tri1; sans compter les biodéchets – au moins 25% ;
  • en 2016, le Syctom valorise seulement 11,6% des OMA qu’il traite (en excluant les mâchefers de plus en plus difficilement valorisables en sous-couche routière2).

Mais au lieu de chercher à rattraper ce retard,le Syctom priorise les solutions de tri mécano-biologique ou de tri-préparation sur ordures ménagères résiduelles (OMR, c’est-à-dire la poubelle tout venant, non triée), et l’incinération des déchets ainsi préparés sous forme de FCR (Fraction combustible résiduelle) le nouveau nom des CSR (Combustibles solides de récupération).

C’est la solution adoptée pour le projet Ivry-Paris XIII: pour réduire de moitié la quantité d’OMR incinérée (de 700 000 tonnes à 350 000 tonnes), le Syctom prévoit de réduire les OMR entrant dans l’usine d’Ivry-Paris XIII (550000 tonnes) par un “tri-préparation” qui permettra d’évacuer la FOR(fraction organique résiduelle), d’assécher la FCR, et d’incinérer des quantités de déchets deux fois moindres qu’aujourd’hui.L’objectif est technique : améliorer le rendement de l’usine en brûlant des déchets secs. Le tout, sans faire d’efforts particuliers sur l’amélioration, en amont, des performances de tri et de recyclage, en particulier des emballages.

Le Syctom remet ouvertement en cause les objectifs fixés par la loi en affirmant par exemple que :

  • la collecte des biodéchets en 2025 ne pourra pas être généralisée, et qu’il faudrait autoriser le mélange des biodéchets triés à la source avec les fermentescibles issus d’OMR (pour rendre acceptable le compost issu d’OMR);
  • la « tarification incitative (…) dans les milieux urbains denses est inenvisageable» et doit être reportée à2031.

Le Syctom se place ainsi à contre-courant des politiques publiques européennes et nationales. Alors que les actions”zéro gaspillage, zéro déchet” individuelles, familiales,collectives se multiplient, et que les citoyens attendent des pouvoirs publics que des objectifs ambitieux de réduction, de tri et de recyclage soient effectivement tenus pour la préservation des ressources et une meilleure qualité de l’air que nous respirons, il s’entête dans des solutions industrielles insatisfaisantes sous prétexte de lutter contre l’enfouissement3 et d’alimenter les réseaux de chaleur.

Des décisions du Syctom qui planifient l’échec des politiques publiques de recyclage

Ce que dit la loi4:

  • réduction de 10% des déchets ménagers et assimilés (DMA) par habitant entre 2010 et 2020;
  • augmentation de « la quantité de déchets faisant l’objet d’une valorisation sous forme de matière, notamment organique, en orientant vers ces filières de valorisation, respectivement, 55 % en 2020 et 65 % en2025 des déchets non dangereux non inertes,mesurés en masse ».

Ce que dit le Syctom, dans un scénario auto-proclamé « volontariste » pour 2031 :

  1. « diminution de 20 %de la production d’OMR par habitant [en 2031] par rapport à 2016″ ;
  2. « augmentation de près de 30 % du ratio des papiers et emballages. Enfin, le ratio de collecte des biodéchets devrait passer de 0,2 à 31 kg/hab entre 2016 et 20315»

Sur le point 2, il faut souligner que l’évolution du ratio de collecte des biodéchets projeté par le Syctom est d’autant plus importante que l’on part de très bas, et que sur la même période, le ratio de collecte des papiers et emballages n’augmenterait que de 10kg/hab/an et le verre de 4kg/hab/an6.

Ainsi, ces chiffres témoignent d’un effort très modéré qui ne permettra pas à la métropole de rattraper son retard.

Le tableau ci-après présente la situation sur le territoire du Syctom en 2010, année de référence pour la LTCEV.Source : rapport d’activité du Syctom

Le tableau suivant présente l’atteinte des objectifs de la LTCEV parle Syctom selon le scénario « volontariste ». Sources : Rapports annuels du Syctom et note du Syctom, 2017, Pour une gestion ambitieuse et responsable des déchets métropolitains (calculs FNE/ Collectif3R)

=> Le Syctom prévoit de se conformer « à peu près » à la législation s’agissant de la prévention (- 9,3% de prévention en 2025 alors que l’objectif est de -10% pour 2020) mais planifie une non-atteinte grave des objectifs de recyclage (26,5% seulement en 2025 alors que l’objectif de la LTCEV est de 55%).

Pistes d’action

La Métropole et l’Île-de-France peuvent rattraper leur retard en capitalisant sur:

  • leurs atouts :
    • les déchets d’activités économiques (DAE) collectés par le service public constituent au moins 30% des déchets ménagers et assimilés (DMA) sur le territoire régional (45% à Paris) ;
    • la politique “zéro déchet”lancée par Paris en 2014, avec le tri des biodéchets en porte à porte qui devrait être généralisé en 2020,et une relance du tri-recyclage grâce aux “trilib”, qui devrait,d’après l’adjoint à la propreté Mao Peninou porter le taux de valorisation matière de Paris à 50% à la fin de la mandature. Paris représente près de 50% des déchets du Syctom ;
  • un contexte porteur, du fait de dispositions importantes prises par la loi Grenelle puis par la LTECV :
    • pour réduire les déchets résiduels des entreprises et administrations (obligation de tri des biodéchets pour les gros producteurs, tri 5 flux pour les entreprises et administrations, définition du périmètre du service public pour faire sortir les plus grosses entreprises du service public de gestion des déchets) ;
    • pour booster le recyclage par les ménages:
      • obligation pour les collectivités de mettre à la disposition des habitants de quoi trier leurs biodéchets en 2025 ;
      • extension des consignes de tri à tous les plastiques en 2022 ;
      • tarification incitative pour 25 millions d’habitants en 2025.

Zero Waste France et le Collectif 3R ont en 2015 produit un scénario alternatif, le Plan B’OM (Baisse des ordures ménagères- www.planbom.org), qui montre qu’en priorisant 3 chantiers (biodéchets,papiers-cartons, relance du tri) et une série de mesures éprouvées en France et à l’étranger, avec des objectifs réalistes, et un budget de 200 millions d’euros7, on pourrait ne pas reconstruire l’incinérateur d’Ivry-Paris XIII, et consacrer un budget important en faveur de la prévention des déchets et de la relance du tri.

La décroissance de l’incinération en Île-de-France est la clé d’un changement de paradigme pour aller vers la gestion durable de nos déchets et l’économie circulaire.

En conclusion, nous vous demandons en tant que garante de la bonne application de la loi, de ne pas laisser le Syctom oblitérer l’avenir en toute impunité, et de vous assurer qu’il mette sa force de frappe financière et institutionnelle au service de la prévention, du tri et du recyclage des déchets, afin d’atteindre les objectifs fixés par la loi.

2 Les incinérateurs du Syctom produisent 321 551 tonnes de mâchefers, soit plus de 13% des déchets traités par le Syctom
3 Le Syctom enfouit 6,4% des déchets de son territoire (source : Syctom,Rapport technique et financier 2016, p. 9)
4 art L. 541-1-I du code de l’environnement modifié par la loi n°2015-992 du 17 août 2015 (LTCEV)
5 Syctom, 2017, Pour une gestion ambitieuse et responsable des déchets métropolitains, page 54.
6 Syctom, 2017, Pour une gestion ambitieuse et responsable des déchets métropolitains, pp 27-28
7 à mettre en regard avec le coût de reconstruction de l’usine d’Ivry-Paris XIII d’environ 2milliards d’euros TTC.

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