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Le SYCTOM a répondu au communiqué de presse du Collectif 3R par un communiqué.
Le SYCTOM rappelle les mesures de surveillance de l’incinérateur d’Ivry-Paris XIII, dont le Collectif 3R prend connaissance chaque année depuis plus de 10 ans, et a bien analysé les limites avant de commanditer la fondation ToxicoWatch.
Loin de reconnaître la gravité de la situation, cette déclaration du SYCTOM tend à faire croire que tout serait normal et que l’étude ToxicoWatch présenterait des biais et lacunes.
Ci-dessous nos réponses et les questions que nous posons en retour, dont la première : comment se fait-il qu’aucune des campagnes de mesure menées jusqu’à présent par SUEZ et le SYCTOM n’ait permis de sonner plus tôt l’alerte quant à la contamination importante de l’environnement autour de l’usine par les dioxines ?
La quasi-totalité des échantillons collectés lors de notre campagne (réalisée avec de petits moyens) se révèlent contaminés à des taux largement supérieurs aux valeurs réglementaires sanitaires et aux valeurs observées en Europe dans des environnements comparables autour d’incinérateurs de déchets.
Le SYCTOM écrit : “des prélèvements de mousses et de lichens sont effectués dans l’environnement de l’UVE et sur des points témoins. Les concentrations mesurées sur les prélèvements de mousse indiquent des valeurs comprises entre 0,27 et 0,61 pg OMS-TEQ/g de matière sèche pour une valeur seuil fixée par le prestataire à 2 pg OMS-TEQ/g de matière sèche sur la base de son retour d’expérience. Il n’existe pas de seuil réglementaire.”
Cette explication illustre le biais méthodologique qui pourraient expliquer l’incapacité de ces campagnes de mesures SUEZ/SYCTOM à détecter effectivement des dioxines.
Pour le Collectif 3R, le SYCTOM et son sous-traitant SUEZ ne sont pas réellement transparents, en particulier s’agissant des dioxines. En effet :
- Les mesures relèvent de l’auto-surveillance : elles sont faites par SUEZ et ses prestataires ;
- Le Collectif 3R demande que soient rendus publics :
- tous les protocoles scientifiques utilisés, dont la justification des sites retenus pour les analyses de retombées atmosphériques et de biosurveillance, la réglementation en vigueur précisant que “Les mesures doivent être réalisées en des lieux où l’impact de l’installation est supposé être le plus important” ;
- la documentation sur les appareils de mesures utilisés (préleveurs sur les cheminées) ;
- les références complètes scientifiques utilisées pour les valeurs dites “de référence” ou “ubiquitaires” ;
- la justification des protocoles scientifiques utilisés (les plus à jour, évalués par des pairs, n’induisant pas une minoration des résultats…) ;
- la description des prélèvements réalisés (photos des prélèvements) et la façon dont les échantillons sont préparés pour les analyses en laboratoire (lavage, séchage, mélange…) ;
- les résultats bruts des analyses de laboratoires datés et signés (et non uniquement les moyennes ou valeurs recalculées) ;
- s’agissant des préleveurs en continu sur les cheminées (appareil AMESA), les résultats détaillés par tranches de 10 et 30 minutes incluant les dates et heures des phases sensibles d’arrêts et de redémarrages. Cette information est cruciale, une panne de quelques minutes pouvant suffire à émettre des quantités considérables de polluants qui persisteront dans l’environnement pour plusieurs décennies (cf. catastrophe de Seveso).
Ce qui est mis à disposition du public actuellement chaque année sur le site de SUEZ :
- un “dossier d’information du public”
- les valeurs moyennes journalières des polluants pour lesquels c’est une obligation réglementaire (ex : oxydes d’azote, acide chlorhydrique…). Les valeurs moyennes sur 10 et 30 minutes, bien qu’obligatoires pour ces polluants avec des limites réglementaires à respecter, ne sont pas rendues publiques. Pour les dioxines, aucune valeur sur 10 et 30 minutes, ni même journalière, n’est rendue publique (et certes la réglementation ne le demande pas).
Le Collectif 3R produit en annexe ci-dessous 7 exemples de manque de transparence :
- 1 : sur le calcul du “niveau de performance annuel” (dioxines chlorées)
- 2 : sur les mesures en continu (dioxines chlorées)
- 3 : sur les mesures trimestrielles (dioxines chlorées)
- 4 : sur les mesures pendant les phases d’arrêt et de redémarrage
- 5 : sur les mesures trimestrielles (dioxines bromées)
- 6 : sur la surveillance des retombées atmosphériques (jauges Owen)
- 7 : sur la biosurveillance sur les mousses
Le Collectif 3R réagit en outre à 4 remarques spécifiques du SYCTOM :
1/ Sur l’absence de “points témoins” dans les sites analysés par ToxicoWatch
Paris et la proche couronne sont un milieu urbain dense et singulièrement bien servi en sources de pollution diverses (périphérique, autoroutes, incinérateurs d’Ivry-Paris XIII, de Créteil, d’Issy-les-Moulineaux, de St-Ouen…).
Trouver des sites témoins urbains non pollués n’est pas tâche aisée.
C’est pourquoi ToxicoWatch a comparé les données recueillies dans un rayon de 2km autour de l’incinérateur d’Ivry-Paris XIII avec les références suivantes :
- concernant les oeufs : des oeufs de supermarché issues de poules non élevées en plein air, et ce bien que nous condamnons ces pratiques d’élevage industriels, qui ont toutefois le mérite de préserver les poules de la contamination aux dioxines par les retombées atmosphériques et le sol ;
- concernant les mousses et les végétaux : les références relevées en Espagne et confirmées par la littérature scientifique (citée dans le rapport de ToxicoWatch), indiquent que les valeurs de référence sont en-dessous de la limite de détection, c’est-à-dire qu’il n’y a pratiquement pas de dioxines.
2/ Sur les profils similaires de dioxines dans les oeufs et dans les cheminées d’incinérateurs
Le SYCTOM signale que “La proportion des différentes dioxines retrouvée dans les œufs est comparée à la signature de l’usine d’Harlingen aux Pays-Bas et non à celle de l’usine d’Ivry, ne permettant pas d’établir avec toute la rigueur scientifique nécessaire, un lien entre la contamination des œufs et les rejets du Syctom.”
Le Collectif 3R aimerait précisément, disposer des analyses brutes de laboratoires des dioxines prélevées en continu sur les cheminées de l’incinérateur, comme dans l’exemple ci-dessous :
Une étude de l’INERIS (2019) a comparé les émissions de dioxines bromées lors de la combustion notamment de véhicules usagés, de câbles électriques, de déchets d’équipements, et de “Combustibles solides de récupération” (= typiquement les déchets entrant dans les incinérateurs). Il en ressort que ces derniers sont fortement émetteurs de dioxines bromées et de PCB “dioxin-like”.
3/ Sur les sources diffuses de dioxines (brûlages de déchets verts, de câbles…)
Le SYCTOM cite une étude d’AIRPARIF (2018). Cette étude, financée par le SYCTOM, est évoquée dans le rapport de ToxicoWatch. AIRPARIF ne fait que “supposer” l’existence de brûlages non contrôlés sans en attester la réalité (ces pratiques sont illégales). A côté de ces supposées sources diffuses, dont on ne connaît ni la fréquence ni les volumes, l’incinérateur d’Ivry-Paris XIII est une source massive et continue depuis 1969 avec 700 000 tonnes de déchets incinérés par an, contenant toutes sortes de substances dangereuses, à défaut d’un tri à la source efficace (faibles performances de l’Ile-de-France en matière de tri des plastiques, des déchets électriques et électroniques et des déchets dangereux diffus notamment).
Une étude de l’INERIS (2019) a comparé les émissions de dioxines bromées lors de la combustion notamment de véhicules usagés, de câbles électriques, de déchets d’équipements, et de “Combustibles solides de récupération” (= typiquement les déchets entrant dans les incinérateurs). Il en ressort que ces derniers sont fortement émetteurs de dioxines bromées et de PCB “dioxin-like”.
4/ Sur la non-comparabilité des résultats obtenus sur les dioxines dans les mousses
ToxicoWatch a mesuré les dioxines en picogrammes équivalent TCDD par gramme de produit, avec la méthode biologique DR CALUX. Le Syctom a mesuré les dioxines en picogramme TEQ par gramme de produit.
ToxicoWatch mesure toutes les substances liées aux dioxines, y compris les dioxines bromées et les PCB “dioxin-like”. Cette méthode apporte davantage de robustesse par rapport aux mesures chimiques GC-MS, dont l’avantage est toutefois de déterminer les profils des congénères.
C’est pourquoi le Collectif 3R demande à avoir accès aux rapports bruts d’analyse du SYCTOM pour pouvoir établir une comparaison rigoureuse, ainsi que les détails des prélèvements et de préparation des échantillons de mousses (lavage, séchage, mélange, solvants utilisés…).
7 exemples de manque de transparence dans le “dossier d’information du public” 2020 publié par SUEZ et le SYCTOM
Exemple 1 : manque de transparence sur le calcul du “niveau de performance annuel” (dioxines chorées)
Le chiffre de 29% de concentrations de dioxines et furanes par rapport à la valeur limite réglementaire semble calculé à partir de la “moyenne des moyennes” des prélèvements mensuels ? (cf. exemple 2)
Exemple 2 : manque de transparence sur les mesures continues (dioxines chlorées)
SUEZ/le SYCTOM ne fournissent pas :
- La description du protocole de mesure,
- la description du fonctionnement de l’appareil de mesure (préleveurs en continu sur chaque cheminée),
- les résultats bruts des analyses des laboratoires CARSO/SOCOR Air.
La seule information fournie sont des moyennes mensuelles.
Voici un relevé de fonctionnement d’un appareil de mesure en continu de type AMESA comme celui sur les cheminées de l’incinérateur de Harlingen (Pays Bas) analysé par ToxicoWatch :
Les rapports détaillés des mesures en continu permettent de suivre, par tranches de 10 minutes, les émissions en fonctionnement normal (colonne de droite) et en fonctionnement anormal pendant les pannes, arrêts et redémarrage (colonne de gauche) :
Il est alors possible de visualiser des pics d’émissions incluant les phases d’arrêt et de démarrage.
Au final, les émissions de dioxines recalculées sur la base des mesures en continu, et non sur des moyennes, augmentent d’un facteur 15 les émissions annuelles en volume de l’incinérateur de Harlingen (Pays Bas) : barre jaune foncé et barre rouge.
Exemple 3 : manque de transparence sur les mesures trimestrielles (dioxines chlorées)
SUEZ/le SYCTOM ne fournissent pas :
- La description du protocole de mesure,
- les résultats bruts des laboratoires accrédités BUREAU VERITAS et APAVE.
La seule information fournie sont des mesures ponctuelles trimestrielles.
En commentaire sur le dépassement de la valeur limite en juillet 2020 sur la ligne 2, SUEZ indique “mesure réalisée peu de temps après un redémarrage de la ligne et dépassement non confirmé par la mesure en semi-continu”.
Les tableaux en annexe n’apportent aucun complément si ce n’est une décimale supplémentaire…
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Source : SUEZ, 2021, dossier d’information du public, page 111
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Exemple 4 : manque de transparence sur les mesures pendant les phases d’arrêt et de redémarrage
Cette donnée essentielle est résumée à une simple moyenne annuelle concernant les dioxines et furanes.
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Exemple 5 : manque de transparence sur les mesures trimestrielles (dioxines bromées)
De même que pour les dioxines et furanes chlorées, il manque :
- La description du protocole de mesure,
- les résultats bruts des laboratoires accrédités BUREAU VERITAS et APAVE.
Un inquiétant niveau (0,139 nb ITEQ OTAN / Nm3) est commenté par un lapidaire “validité de ces mesures inhabituelles non confirmée par le laboratoire”.
Exemple 6 : manque de transparence sur la surveillance des retombées atmosphériques (jauges Owen)
SUEZ/le SYCTOM ne fournissent pas :
- la description du protocole de choix des sites (simple référence à un guide de l’Ineris, non reproduit) ;
- la distance des sites à l’incinérateur ;
- la description de la méthode de prélèvement ;
- la description de la méthode de préparation des échantillons ;
- les résultats bruts des analyses des laboratoires.
Exemple 7 : manque de transparence sur la biosurveillance sur les mousses
SUEZ/le SYCTOM ne fournissent pas :
- la description du protocole de choix des sites (simple référence à un guide de l’Ineris) ;
- la distance des sites à l’incinérateur ;
- les références scientifiques de la “valeur ubiquitaire” élevée retenue ;
- les photos des prélèvements et la méthode de préparation des échantillons (lavage, séchage, mélange, solvants utilisés…).
Bravo pour votre travail, très précis. Pour ce qui concerne le dépistage dans le lait maternel, il existe des anticorps spécifiques aux PCDD/Fs (EIA) ainsi que les indicateurs biologiques Calux et Erod (source Ineris, OMS), peut être plus simple à mettre en œuvre que chromatographie couplée à spectro de masse et moins cher. Il semblerait que les dioxines puissent être détruites à l’échappement par une source intense de rayonnement UV, démarche à approfondir…
Bravo pour cette série d’articles, je ne suis pas “riverain” à proprement parler, mais salarié à Ivry, et cet incinérateur m’inquiète depuis que je suis arrivé sur ce nouveau lieu de travail.
Je suis cependant perplexe, plus rien depuis mi février ?