Contribution du Collectif 3R à l’enquête publique relative au Plan régional de prévention et de gestion des déchets (PRPGD) de la région Île-de-France 8


Madame la Présidente de la Commission d’enquête,

Le Collectif 3R (réduire, réutiliser, recycler) s’est constitué en 2010, à l’issue du débat public sur le projet de reconstruction de l’incinérateur d’Ivry/Paris XIII. Il œuvre à promouvoir des politiques publiques de prévention et de gestion des déchets qui mettent réellement l’accent, tant en termes de discours, d’objectifs stratégiques que de moyens humains et financiers, sur les modes de gestion situés au sommet de la hiérarchie consacrée par le droit européen et national, c’est à dire les « 3R », et qui ne mobilisent qu’en dernier recours les modes de traitement en bas de la hiérarchie, c’est à dire l’incinération et l’enfouissement.

Parmi nos associations membres, les Amis de la Terre participent à la Commission Consultative d’Elaboration et de Suivi (CCES) mise en place par la Région, et ont à ce titre fait part, en concertation avec le Collectif 3R, de leurs préoccupations aux élus et aux services régionaux via un courrier et une note, ainsi que plusieurs échanges.

Tout d’abord, nous sommes étonnés de la forme du PRPGD d’Ile de France et nous interrogeons : pourquoi un document si volumineux pour si peu de portée juridique ?

Le PRPG représente plus de 1000 pages, rendant son analyse exhaustive par des bénévoles associatifs impossible à mener.

Pourtant, ce document volumineux se voit assigner des objectifs vagues tels que « innerver les politiques publiques »1 par ses auteurs, qui le décrivent comme « un document de planification stratégique » « à portée pédagogique »2.

Il contient peu d’éléments juridiquement contraignants, y compris concernant la limitation des capacités de stockage et d’incinération.

Et pourtant, les PRPGD sont dans l’esprit de la loi, un outil de transition écologique.

A cette fin, pour le Collectif 3R, le PRPGD francilien devrait en priorité :

  1. comporter une stratégie explicite pour se passer des modes de traitement situés en bas de la hiérarchie en ne prévoyant aucune nouvelle installation de stockage ou d’incinération, avec un plan progressif de fermeture des sites existants, au profit d’investissements dans les modes de gestion en haut de la hiérarchie (prévention, tri, recyclage) ;
  2. rendre le tri à la source obligatoire pour les ménages et les activités ;
  3. généraliser progressivement la tarification incitative pour les déchets ménagers et d’activités, en complément de campagnes de sensibilisation fortes et régulières (ambassadeurs de prévention et de tri, meilleure lisibilité des consignes de tri y compris dans l’espace public).

La présente contribution fait le point sur la prise en compte de ces 3 priorités par le PRPGD tel que soumis à enquête publique.

  1. L’interprétation francilienne de la hiérarchie des modes de gestion des déchets : un peu de prévention, pas trop de tri-recyclage, et beaucoup d’incinération sous prétexte de réduire la mise en décharge

Une communication provocatrice qui met en avant les « atouts » de l’incinération en Ile de France

Le Collectif 3R dénonce vivement l’intitulé de la 6ème « grande orientation » du PRPGD « La valorisation énergétique : une contribution à la réduction du stockage et un atout francilien spécifique ». Il est choquant de présenter sous un jour aussi positif un mode de traitement polluant et dûment reconnu comme tel par le législateur, qui l’a assujetti à la Taxe Générale sur les Activités Polluantes (TGAP), pour sa contribution à la pollution de l’air et des sols, en particulier via les résidus de fumées d’incinération et les mâchefers.

Les promoteurs de l’incinération des déchets, au premier rang desquels le Syctom, semblent avoir fortement influencé la rédaction du PRPGD. Or ce mode de traitement, en effet en grande partie « spécifique » à l’Ile de France, région championne du « tout-incinération » accapare déjà depuis des décennies les finances publiques, via l’endettement conséquent qu’il nécessite, et restreint les marges de manœuvre des collectivités.

Il est grand temps de sortir de la politique du « tout-incinération » qui prévaut en Ile de France et qui est un frein puissant à l’atteinte des objectifs nationaux et européens de prévention, de tri et de recyclage des déchets.

Le PRPGD prévoit de limiter le stockage pour mieux remplir les incinérateurs… notamment avec des encombrants et des déchets d’activité économiques (DAE)

L’article L.541-1-I -7 du Code de l’Environnement impose de «réduire de 30 % les quantités de déchets non dangereux non inertes admis en installation de stockage en 2020 par rapport à 2010, et de 50 % en 2025 ». Pourquoi l’IDF, qui accuse un énorme retard sur la gestion des déchets, se fixe-t-elle ici un objectif plus ambitieux « de réduction de 60% des DNDNI admis en installation de stockage en 2031 par rapport à 2010 »3 ?

Il est clair que cette réduction de la mise en décharge se fera au profit d’une augmentation des tonnages incinérés. Le PRPGD signale que le parc de 18 incinérateurs, « sans créer de sites supplémentaires », « devra être conservé mais adapté pour répondre aux nouveaux enjeux de demain, notamment l’évolution du PCI (Pouvoir Calorifique Inférieur) des déchets entrant. En effet, avec l’augmentation du tri notamment des DAE et des encombrants, les tonnages à haut PCI vont augmenter. Ceux-ci pourront être préparés sous forme de CSR».

C’est à dire en clair, incinérés. Le PRPGD chiffre un «besoin de capacités haut PCI à hauteur de l’ordre de 200 000 à 300 000 t/an pour assurer le détournement des DAE du stockage »4.

Le PRPGD ne prévoit aucune limitation de la capacité d’incinération et laisse le soin à l’Etat de le faire

Non seulement le PRPGD ne fixe aucune limitation, mais :

  • il « préconise de laisser à l’appréciation du préfet l’autorisation de nouvelle(s) chaufferie(s) CSR ou l’augmentation de capacité d’incinérateurs existants »5 ;
  • il constate que la tendance n’est pas à la baisse, en signalant notamment que « en 2016, deux installations ont vu leur capacité autorisée augmenter: Issy-les-Moulineaux (+50000t/an) et Sarcelles (+ 20 000 t/an) »6et en faisant état de trois demandes d’augmentation de capacité réglementaire (+ 10 000 t/an à Argenteuil, 3ème four à Créteil pour +120 000 t/an, et +21 000 t/an à Vert-le-Grand)7.

Le PRPGD prépare le terrain pour une nouvelle génération d’incinérateurs

Le PRPGD, sans fixer aucune limite de capacité, encourage :

  • les installations de combustion de CSR, qui relèvent dans la nomenclature différente des installations classées pour la protection de l’environnement, de la rubrique 2971 (« autres ») par rapport aux incinérateurs « classiques » qui relèvent de la rubrique 2771 (« déchets »)8 ;
  • « les usages innovants en valorisation énergétique des déchets, comme la pyrolyse, et également la gazéification de la partie biogénique des déchets »9.
  1. Rendre le tri à la source obligatoire pour les ménages et les activités : une idée pas même évoquée par le PRPGD

Cette mesure constituerait un signal fort par rapport à l’urgence climatique. Il s’agit certes d’une contrainte mais comparable au port de la ceinture de sécurité en voiture : elle est pleinement justifiée par l’intérêt général. Elle pourrait puissamment accompagner l’extension des consignes de tri notamment s’agissant des plastiques.

Le PRPGD planifie l’échec des politiques publiques de tri et de recyclage

La région la plus riche d’Europe, certes très en retard, mais qui en 12 ans, a largement les moyens d’atteindre les objectifs publics de prévention et de recyclage, préfère :

  • décaler dans le temps l’objectif national de 55 % de valorisation matière et organique en 2020 et 65% en 2025. Le PRPGD prévoit que «55 % à l’horizon 2020, 60% en 2025 et 65% en 2031 »10 ;
  • rester durablement sous-équipée en centres de tri, par rapport à la situation actuelle de « 21 centres de tri dont certains de petite taille et pas toujours adaptés à l’extension des consignes de tri ». Le PRPGD se borne à prévoir « la modernisation et rationalisation ». Des emplois seraient même supprimés (« le but est de s’orienter vers des unités automatisées (machines de tri optique, robots)… »11.
  1. La généralisation de la tarification incitative remise aux calendes grecques par le PRPGD

Le PRPGD rappelle12 que la loi de transition énergétique prévoit le développement de la tarification incitative, avec pour objectif national « que 15 millions d’habitants soient couverts par cette dernière en 2020 et 25 millions en 2025 ».

Le PRPGD se fixe de déployer la tarification incitative pour 3,6 millions d’habitants… en 2031. Ceci ne représente même pas le minimum qu’il aurait fallu atteindre, soit en proportion de la part de la population francilienne dans la population française, 20 % soit au minimum 5 millions d’habitants et ce dès 2025 !

La tarification incitative a pourtant fait la preuve de son efficacité, et représente un enjeu de justice fiscale, alliant enjeux sociaux et écologiques, qui permettrait d’envoyer un signal fort aux ménages et aux professionnels pour booster la réduction des déchets et le tri à la source.

Pour toutes ces raisons et en résumé, nous vous demandons, Madame la Présidente de la Commission d’enquête, de rendre un avis défavorable au PRPGD d’Ile de France, pour la prépondérance donnée à l’incinération, et la non-atteinte planifiée des objectifs nationaux et européens en matière de tri-recyclage et de développement de la collecte incitative.

En vous remerciant d’avance de votre attention, nous vous prions de croire, Madame la Présidente de la Commission d’enquête, en nos sentiments les plus sincères.

Le Collectif 3R (réduire, réutiliser, recycler)

1 page 4 dossier enquête publique – notice explicative

2 page 2 dossier enquête publique – mémo

3 page 59 – dossier enquête publique – Chapitre I

4 page 39 – dossier enquête publique – Chapitre I

5 page 104 – dossier enquête publique – Chapitre III

6 page 77 – dossier enquête publique – Chapitre III

7 page 83 – dossier enquête publique – Chapitre III

8 L’arrêté ministériel du 23 mai 2016 relatif aux installations de combustion, précise que les chaudières CSR sont « conçues de façon à pouvoir être modifiées pour utiliser de la biomasse en substitution des CSR ou à terme si besoin d’autres combustibles afin de pouvoir assurer leur fonction de production d’énergie. 

9 page 105 – dossier enquête publique – Chapitre III

10 page 36 – dossier enquête publique – Chapitre I

11 page 42 – dossier enquête publique – Chapitre III

12 page 11, dossier enquête publique – Chapitre I

Pour consulter les documents de l’enquête publique : https://www.enquetes-publiques.com/Enquetes_WEB/FR/DOSSIER-F.awp?P1=EP19224&AWPIDEEA696BA=17A480DFADA4BD208E39B8D4B825760CEAA7A060 dont le mémo en particulier : https://www.enquetes-publiques.com/Enquetes_WEB/FR/DOSSIER-F.awp?P1=EP19224&AWPIDEEA696BA=17A480DFADA4BD208E39B8D4B825760CEAA7A060

Consulter notre contribution au format PDF : collectif3r.org/wp-content/uploads/2019/07/20190712_positionC3R_PRPGD.pdf


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8 commentaires sur “Contribution du Collectif 3R à l’enquête publique relative au Plan régional de prévention et de gestion des déchets (PRPGD) de la région Île-de-France

  • Nicolas

    Je suis tout d’abord étonnée de la forme du PRPGD d’Ile de France et nous interrogeons : pourquoi un document si volumineux pour si peu de portée juridique ?
    – Il est grand temps de sortir de la politique du « tout-incinération » qui prévaut en Ile de France et qui est un frein puissant à l’atteinte des objectifs nationaux et européens de prévention, de tri et de recyclage des déchets.
    – Rendre le tri à la source obligatoire pour les ménages et les activités : une idée pas même évoquée par le PRPGD
    – Le PRPGD ne prévoit aucune limitation de la capacité d’incinération et laisse le soin à l’Etat de le faire.
    – Le PRPGD rappelle que la loi de transition énergétique prévoit le développement de la tarification incitative.
    – Le PRPGD se fixe de déployer la tarification incitative pour 3,6 millions d’habitants… en 2031. Je crois que ces dates ne prennent pas en compte l’urgence de la situation !!!

    Je vous demande de rendre un avis défavorable au PRPGD d’Ile de France, pour la prépondérance donnée à l’incinération, et la non-atteinte planifiée des objectifs nationaux et européens en matière de tri-recyclage et de développement de la collecte incitative.

  • Bruno Meyer

    Le seul bon déchet est celui qui n’est pas produit. Toute action envers les déchets doit se baser sur ce principe.
    Tous les déchets doivent être recyclés. En dernière extrémité, un déchet non recyclable doit être renvoyé à son producteur. La terre n’est pas une poubelle.
    La réduction de nos consommations est l’autre voie vers une solution à nos difficultés. C’est dans ce sens que les politiques devraient nous conduire. La sobriété est notre seule issue aujourd’hui et demain.
    Il est souhaitable de relocaliser les productions alimentaires plutôt que de détruire les meilleures terres agricoles de France que représente la Brie plutôt que de créer de nouvelles zones d’enfouissements de déchets. L’aménagement du Grand Paris et la perspective des Jeux Olympiques de 2024 a un coût exorbitant en termes de déchet pour l’environnement et compromet un peu plus l’avenir de nos enfants et le bien-être de nos concitoyens en Seine et Marne.
    Par ailleurs, le PRPGD ne respecte en aucun cas la feuille de route sur l’économie circulaire de notre premier ministre, datant d’une année environ. Il suis en cela les grandes lignes du plan du du Grand Est.
    Il ne respecte pas non plus à prochaine loi sur l’économie circulaire portée par Brune Poirson
    Pour ces raisons, je suis opposé au PRPGD

  • BELLET Marie-France

    Tant que le “tri” ne sera pas une priorité, et que l’incinération restera le mode privilégié de traitement des déchets… nous continuerons à aller droit dans le mur !

  • Duclos Jean-Michel

    Bonjour,
    Un autre argument que je n’ai pas vu et qui peut ouvrir une nouvelle brèche sur le plan juridique ?
    Un incinérateur recrache six fois le poids de ce qu’il brûle en rejet gazeux, dont des gaz à effet de serre.
    Pour l’incinérateur de Clermont-Fd nous avions chiffré le tonnage de gaz à effet de serre à 200 000 tonnes pour une incinération
    de 150 000 tonnes de déchets ménagers et assimilés. Ce qui fait particulièrement désordre lors de l’établissement des plans Climat dont les objectifs poursuivis sont justement la réduction de ces gaz à effet de serre !
    Sur ce plan quel est le bilan des 18 incinérateurs franciliens ?
    Bien cordialement.

    • CONNAN Anne

      Bonjour Jean-Michel,
      L’incinérateur d’Ivry-Paris 13 avec 650 000 à 700 000 tonnes d’ordures ménagères brûlées chaque année recrache bon an mal an 450 000 tonnes de CO2. Comme vous dites, ça fait désordre à l’heure des plans climat !
      C’est pour cette raison que les tenants de l’incinération des déchets ( comme le Syctom à Saint Ouen, Suez-Environnement à Créteil entre autres) se dotent d’expérimentations pour “valoriser le CO2 des fumées” d’incinérateurs “par des micro-algues pour produire des bioplastiques et des biocarburants”. Le Syctom annonce une expérimentation en grandeur réelle fin 2019. Nous avons plutôt entendu dire que la mise en oeuvre technique et économique à l’échelle d’un incinérateur n’est pour le moment pas envisageable pour des raisons de surface de tuyaux à mettre en oeuvre.
      Pour le Syctom voir page 27 https://www.syctom-paris.fr/fileadmin/mediatheque/documentation/centres/Plaquette-Projet-Saint-Ouen-2018.pdf
      et pour Créteil le “puits de carbone” qui accompagne le projet d’extension de l’incinérateur de Créteil http://www.leparisien.fr/val-de-marne-94/creteil-suez-inaugure-son-puits-de-carbone-revolutionnaire-20-03-2019-8036457.php.
      Il existe une expérimentation à Fos sur Mer également, mais déconnectée de l’incinérateur je crois.
      Le temps viendra peut-être où les incinérateurs ne produiront plus de CO2, mais à quel prix ? En attendant le talon d’achille des incinérateurs reste d’abord les résidus du traitement des fumées (REFIOM) et les mâchefers ( 17 à 20% du tonnage incinéré, c’est énorme) qui sont des résidus pollués voire dangereux de l’incinération, qui trouvent de moins en moins à s’employer en sous-couche routière, depuis qu’on demande aux exploitants de les dépolluer, et d’assurer leur traçabilité. Ils coûtent très cher aux exploitants.