CP : Abandon illégal de déchets issus de l’incinération: enfin des condamnations, mais des zones d’ombre persistent


Ivry-sur-Seine, le 22 juin 2020 – La Cour d’appel de Paris a condamné le mois dernier deux entreprises pour tromperie et abandon illégal de déchets en Seine-et-Marne. Elles avaient déposé 31 tonnes de résidus d’incinération polluants dans un champ. La mise en lumière de ce trafic relance le débat sur l’intérêt économique et environnemental de l’incinération.

Des semaines de trafic de déchets pour des années de pollution aux métaux lourds

Deux ans d’enquête des gendarmes de l’office central de la lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique ont été nécessaires pour démêler le trafic illégal des mâchefers de Saint-Cyr-sur-Morin. 

Les mâchefers sont les résidus de l’incinération des ordures ménagères. Ils représentent environ 20% du tonnage entrant de déchets des usines. Ce “déchet de déchets” est plus ou moins chargé en métaux lourds et dioxines et son utilisation – le plus souvent en sous-couche routière – est réglementée, et est conditionnée à certains seuils de polluants. Pour ceux qui dépassent les seuils de pollutions, les gestionnaires d’usines d’incinération et de syndicats de traitement doivent payer pour s’en débarrasser en décharges de déchets dangereux. Ils sont le tendon d’Achille de l’incinération et sont de plus en plus réglementés parce que polluants pour les nappes phréatiques. 

L’affaire débute à l’été 2012. La société Cideme – filiale de Tiru et prestataire du Syctom, le principal syndicat intercommunal de la région parisienne – charge contre rémunération la société Vitrans de se débarrasser de 31 tonnes de mâchefers. Vitrans entre en contact avec la société RTR. Cette dernière signe un contrat d’occupation de deux terrains agricoles pour nettoyage, décapage et remblaiement avec des terres “non inertes non polluantes”. 

C’est ici que seront entreposés les mâchefers provenant d’usines d’incinération du Val-de-Marne, et notamment d’Ivry.

Un bal de camions se met en place pendant plusieurs semaines pour acheminer les mâchefers pollués d’antimoine, de cuivre, de chlorure et d’arsenic à des taux bien supérieurs à ceux autorisés. Les riverains constatent rapidement des écoulements grisâtres le long de la parcelle et alertent la mairie. 

Une « infraction particulièrement grave », les producteurs de déchets muets

Les tribunaux sont saisis et l’affaire est jugée en première instance en juillet 2017. Les trois sociétés et leurs dirigeants sont condamnées à de fortes amendes. Se considérant comme victimes du comportement délictueux de l’entreprise RTR, les sociétés Cideme et Vitrans font appel de cette décision. En juillet 2018 ces deux sociétés entament des travaux d’extraction des 31 tonnes de mâchefers, et 17 tonnes de terres et d’eau polluées. La Cour d’Appel de Paris rend son arrêt le 13 mai 2020 et qualifie les faits “d’infraction particulièrement grave”. Elle condamne l’entreprise de transport Vitrans à 100 000 euros dont 80 000 euros avec sursis, la société Cideme à 200 000 euros dont 160 000 euros avec sursis et l’ex-cadre de Vitrans, Sébastien P. à 30 000 euros dont 25 000 euros avec sursis.

Mais ces mâchefers, comme tout autre déchet, auraient dû faire l’objet d’un suivi par leur producteur initial jusqu’à leur élimination dans des conditions légales. Or, si l’on sait qu’ils provenaient du site industriel de maturation d’Isles les Meldeuses (Seine et Marne), on ne sait pas de quelle(s) usine(s) d’incinération ces mâchefers étaient issus. 

Le Syctom, propriétaire de 3 énormes usines d’incinération (Ivry/Paris 13, Issy-les-Moulineaux, St Ouen), ne s’est pas exprimé sur l’affaire. C’est donc la partie absente au tribunal en première et deuxième instance. 

Les mâchefers ou l’épine dans le pied de l’incinération

Les mâchefers en question ne respectaient pas les seuils de pollution, ils n’étaient pas valorisables et auraient dû être envoyés en décharge de déchets dangereux et non abandonnés en plein champ. L’opération frauduleuse a permis de se débarrasser de ces déchets hautement pollués à moindre frais. La cour d’appel a montré que l’opération avait permis une économie de 3 à 4 millions d’euros. 

Et Annelaure Wittmann, co-présidente du Collectif 3R, de conclure “Le coût de la gestion des mâchefers met à mal le modèle économique de l’incinération. La difficulté récurrente à gérer ces volumes importants de déchets polluants montre bien que la fin de la mise en décharge grâce à l’incinération est un leurre. Toute usine d’incinération alimente des décharges de déchets dangereux pour les mâchefers trop pollués pour être valorisés et les résidus de traitement des fumées d’incinération. Dans le dernier dossier d’information du public disponible (2018), l’exploitant de l’usine d’incinération d’Ivry Paris 13 affirme que 100% des mâchefers soit 114 886 tonnes ont été ‘valorisés’, mais comment en être assurés à la lumière de l’affaire de Saint-Cyr-sur-Morin, qui montre à quel point la chaîne de sous-traitance peut être défaillante?”

Pour en savoir plus sur cette affaire: https://collectif3r.org/condamnation-pour-un-trafic-de-dechets-dincinerateur/


Contact presse :

Anne Connan, Co-présidente du Collectif 3R

06 81 75 89 97 / collectif3r@gmail.com

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